jardins mobiles
festival international des jardins de Chaumont sur Loire

select° 2005

" Jeunes nomades nous vous aimons! Soyez encore plus modernes, plus mobiles, plus fluides [...]. Soyez légers, anonymes précaires comme des gouttes d'eau ou des bulles de savon! Si vous n'êtes pas fluides vous deviendrez rapidement des ringards. " Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, 1998.

Notre époque jouit d'une formidable fluidité de corps et d'esprit. Camille de Toledo, dans archimondain joli-punk(1), prétend que cette fluidité devient une liquidité perverse, une dissolution, un épanchement inéluctable de nos êtres soumis aux flux incessants de l'information, aux ondes hertziennes et à l'hypermobilité.

Est-ce le syndrome schizophrénique de notre temps, une soif d'absolu qui entraîne fuite de l'espace et du temps ; la recherche de notre d'identité dans la culture mondialisée?

Combattre ce phénomène globalisé et insidieux ??? Toute tentative d'échappement, de soulèvement se révèle impossible et même infondée.

Hakim Bey décrit la TAZ(2) (zone autonome temporaire) comme une alternative, un espace provisoire de liberté. A la fois actives et mobiles, planétaires et locales, politiques et conviviales, les TAZs occupent symboliquement des territoires ; dans l'espace, le temps ou l'imaginaire. Elles s'immiscent dans les plis du système et disparaissent avant d'êtres localisées. Elles prennent d'assaut l'invisible. Elles sont une insurrection hors le temps et l'histoire, une tactique de la disparition. En étant impalpable, la TAZ peut parvenir le temps d'un instant à lutter contre l'écrasante pesanteur normative et stimuler l'imaginaire.

Ce genre d'initiative spontanée ne cesse de fleurir dans les espaces délaissés et les terrains vagues des villes, donnant lieu parfois à d'instinctifs jardins nourriciers. Les jardins qu'on dit maintenant "partagés", étaient (avant d'être répértoriés comme tels) des tentatives d'échappement de ce type. Sur des terrains sans usages, des usagers continuent à s'insinueer, profitant des entre deux provisoires de la ville en mouvement.

C'est dans cet esprit que Charlotte Gaudette et Emmanuelle Tittley(3), ont imaginé leur unité d'intervention paysagère mobile. On pourrait la définir comme un outil artisanal d'infiltration du paysage. Par sa forme (contenue dans un conteneur), cette "unité" peut s'adapter partout et s'évaporer tout le temps. Pourtant ce conteneur se morfond depuis 2004 au festival international des jardins de Métis. Il a aujourd'hui l'occasion de faire le voyage transatlantique chez son cousin Chaumontais.

Notre proposition d'installation est donc très similaire : autour d'un conteneur sobrement aménagé en espace de vie (lit, coin cuisine, porte, échelle) et en atelier (vêtement de chantier, outils de jardin, brouette, arrosoir, graines), s'articulent un jardin nourricier (potager, basse cour, récupérateur d'eau pluviale), un espace de vie (fil à linge, terrasse, chaise longue barbecue) de recyclage des déchets (compost, fumier, toilettes sèches). On y pénètre par un grillage éventré, les rudérales foisonnent. Le jardinier affectionnant l'économie de moyens, tout est réalisé avec la magie du recyclage et du détournement. L'endroit est propice à la lecture de tracts à l'ombre d'un grand arbre totem.

La TAZ, comme définie par l'auteur, n'est qu'une une fantaisie poétique. Elle fuit les TAZs affichées. Cette installation n'en est donc pas une, elle n'en est qu'un pastiche.

En revanche elle a l'ambition d'avoir la portée d'un message symbolique : ce qui fait la valeur d'un lieu, c'est l'activité qui s'y passe(4) et les jardins continueront de naitre de notre faculté à nous approprier l'espace.

1 Camille de Toledo, Archimondain jolipunk, confession d'un jeune homme à contre temps, Ed. Calmann-Lévy, 2002.

2 Hakim Bey, TAZ : zone autonome temporaire, Première édition française, mai 1997, Éd. de l'Éclat, Paris.

3 Charlotte Gaudette et Emmanuelle Tittley, Atelier Mousse, architecture de paysage, Québec.

4 Patrick BOUCHAIN, Construire autrement, Ed. Actes Sud 2006.